Taipeh- DOMINICK A. MERLE
Minuit au large des côtes de Chine. Deux cargos sans lumières entrent dans la Mer de Chine du sud. Leur destination: Taiwan. La cargaison: Plus de 600.000 pièces d’art inestimables, représentant la crème de la créativité Chinoise des 5000 années passées.
Cela se passait en 1949, et ce sombre voyage a marqué le dernier chapitre d’une odyssée de 16 années pour conserver ce fabuleux trésor qui avait été amassé par les empereurs Chinois dans la Cité Interdite durant cinq dynasties. C'était une aventure réelle qui dépassait n'importe quelle histoire portée à l'écran par Hollywood.
Aujourd'hui, cette incroyable collection est exposée de manière tournante au Musée du Palais National à Taipei qui est devenu la première attraction touristique de Taiwan. A travers le monde, on ne trouve pas une exposition aussi raffinée des arts et de la culture chinois.
Il faudrait littéralement des décennies pour la voir intégralement. Seulement quelque 4000 pièces sont exposées à chaque fois. Le reste de la collection est entreposé dans des cavernes, telles des ruches, percées dans les montagnes derrière le musée comprenant trois niveaux. Chaque trois mois, la collection est changée sous une forte escorte. Seulement une poignée de gens a la permission d’entrer dans les tunnels pour effectuer le changement.
Le musée était en plein rénovation quand je l'ai visité en août, mais il est resté ouvert au public. Virginia Yen-Ju Chang, une des fonctionnaires du musée, m'a dit qu’avec l’achèvement de la rénovation intérieure, le nombre de pièces à voir peut augmenter à 5000.
"Mais, il faudra encore beaucoup d'années pour les voir toutes", a-t-elle indiqué, en ajoutant qu'elle travaille là depuis six ans et n’a vu qu’une fraction de cette collection. "Je n'ai même jamais été dans les tunnels", conclut-elle.
Le dernier recensement effectué révèle l’existence de plus de 650 000 pièces dans cette collection, dont la grande majorité est constituée d'archives de documents et de livres rares. La calligraphie, la peinture et la poésie, sont aux yeux des Chinois, les seuls arts vrais. La sculpture et la gravure sont pour eux de simples habiletés raffinées. Toutefois, pour un profane comme moi, tous les articles de ce musée paraissent comme des chefs-d'œuvre.
Û un moment ou à un autre, nous avons probablement tous vu ou entendu l'expression "un vase inestimable de l’époque Ming." Maintenant imaginez une pièce où sont exposés des centaines de vases de ce genre. A côté d’elle une section remplie de jade, habilement sculpté aux couleurs verte, jaune, noire, lavande et blanche, et façonné en épées, boutons, pots, tables, bijouterie et armure. Ces articles ont été sculptés sur un seul morceau solide de jade ; ce qui est presque incroyable.
Il y a une pièce en particulier – peut-être le joyau de la collection – qui a été transformée en un légume du bok-choy, avec deux petits insectes camouflés dans les feuilles. On devrait regarder longtemps et attentivement pour les trouver. Il paraît que le légume est bon à manger, avec ses insectes.
Il y a de nombreux meubles en verre où sont exposées des pièces de porcelaine, de bronze , des calligraphies, des livres rares, des documents, des registres de palais, des céramiques et des accessoires portés par des hommes et des femmes de la cour royale : soie, or, argent, perles, jade, rubis, saphirs, corail, turquoise et agate. Et la liste est longue.
Quelques-unes des sculptures sont si petites et intriqués qu’on les a recouvertes de grandes loupes pour permettre aux visiteurs d’en voir les détails. Par exemple, un bateau minuscule est sculpté sur une pierre vert olive. Il est complètement équipé d'un pont couvert et de fenêtres mobiles. Et dans son intérieur, huit passagers assis sur des chaises avec leurs plats sur la table. Tout cela est sculpté sur un espace de moins de deux pouces de long et un pouce de haut! Et malgré cela, le sculpteur n'est pas considéré comme un véritable artiste par les Chinois.
Toutefois , les calligraphes ont été toujours révérés pendant des siècles. La langue Chinoise n'est pas utilisée simplement pour la transmission d'informations. C'est un objet de considération esthétique, comme un tableau. En fait, beaucoup de calligraphes Chinois célèbres étaient aussi des artistes ou des peintres; quelquefois ils avaient les trois qualités. Certains sont très respectés pour leur seule calligraphie.
Les Chinois ont décrit les multiples styles de calligraphes célèbres avec des termes enthousiastes, poétiques, tels que: "Ses coups de pinceau sont comme un serpent effrayé qui glisse à travers l'herbe" ; ou " Il contient la force et la fureur d'un tourbillon et de pluie impérieuse." Un autre a été comparé à de l’"or svelte" et d’un calligraphe on a dit qu’il a "capté l'essence et le génie des anciens."
Tableaux, tapisseries, sculptures de bois, ventilateurs, broderies, articles en laque, bouteilles de vin et de tabac à priser et même un bol fait avec une partie d’un crâne humain, sont exposés et d’autres pièces sont encore au fonds des tunnels des montagnes pour un futur examen.
Ce passé étonnant comporte trois dates:
En 1924, le Gouvernement Nationaliste a donné deux heures au dernier empereur mandchou, Pu Yi, et son entourage de 2000 eunuques et dames pour quitter la Cité interdite, une partie murée de Pékin (maintenant Beijing) contenant les palais royaux. Le gouvernement a envoyé rapidement 30 jeunes savants pour identifier, enregistrer et classer les trésors artistiques qui avaient été amassés par les empereurs Chinois à travers les siècles. Cette classification a duré six années.
En 1931, les Japonais avaient envahi la Chine et étaient sur le point de prendre Pékin. Les Chinois avaient emballé la collection entière dans 20 000 caisses et les avaient transportées par rail à Nanking. Ainsi, avait commencé l'odyssée de 16 années durant lesquelles la précieuse collection a fait la navette de long en large à travers le pays déchiré par guerre, par camion, charrette, radeau et même à dos d’hommes. Et ce qui est incroyable, c’est que pas une pièce n’a été perdue ou cassée. Les registres en attestent.
Pendant l'invasion Japonaise, les trésors ont été cachés à Szechwan en Chine centrale, principalement dans les cavernes et les entrepôts. Après la défaite Japonaise en 1945, la collection entière a été rassemblée à Nanking.
Mais, en 1948, la lutte a continué à monter entre les Nationalistes et les Communistes chinois.
Les Nationalistes avaient décidé de sélectionner les objets les plus précieux de la collection et de les envoyer à Taiwan. Alors, ce fut le dernier chapitre en 1949 avec la cargaison transportée en pleine nuit. Et une fois encore, aucune pièce n’avait été perdue ou endommagée.
Les articles transportés à Taiwan n’avaient représenté que 25% environ des trésors déménagés la Cité interdite. Mais, de quelle partie s’agissait-il ? C'était la crème de la collection, choisie avec soin par quelques-uns des mêmes savants qui avaient à l’origine classifié ces trésors.
Les articles avaient été entreposés initialement dans les entrepôts de sucre au centre de Taiwan, et un refuge de bombes avait été construit au site pour assurer leur sécurité. Ils sont restés là jusqu'à l’ouverture du Musée du Palais National à Taipei en 1965.
Alors que la plupart des chinois croient que la collection a été sauvée de la destruction par le régime Communiste, beaucoup estiment qu’elle a été volée et non sauvée. Mais il n'y a aucune querelle au sujet de la magnificence et de la qualité de ces pièces séculaires.
Façonnée presque comme une feuille, l'île de Taiwan est à 160 kilomètres seulement de la Chine continentale. La longueur maximale de l'île est de 400 kilomètres environ et sa largeur maximale est de 144 kilomètres. C'est une petite île, avec d’assez bonnes autoroutes. Ce qui permet aux visiteurs de voir de multiples attractions touristiques en quelques jours.
Malgré la petite dimension de l’île, ses montagnes sont extrêmement hautes, atteignant presque 4,000 mètres au sommet du Mont de Jade, qui est plus haut que le célèbre Mont Fuji du Japon.
Taipei, près de la pointe nord de Taiwan, est la plus grande ville du et le siège du gouvernement. En plus du Musée du Palais National, les autres attractions incluent la Salle Commémorative de Chiang Kai-Chek, site de beaucoup de festivals colorés; plusieurs marchés nocturnes très animés (dont un surnommé « Allée du Serpent », mais qui n’a rien de dangereux comme le laisse supposer son nom); plusieurs temples luxueux ( il y a plus de 10 000 temples dans la minuscule Taiwan), et le bâtiment 101 de Taipei, actuellement le plus grand gratte-ciel du monde (mais pas pour longtemps, Dubaï est entrain de construire un plus grand).
Pour avoir un repas intéressant et savoureux, essayez le restaurant Tang Kung au 283, Route Song Chiang, au deuxième étage, que j'avais visité il y a 15 années.
Les choses n'ont pas beaucoup changé. On remplit son bol de plusieurs viandes, de légumes et d’assaisonnements, et on le donne au cuisinier qui est au bout debout devant un gril chaud circulaire, grand comme un pneu d’un semi-remorque.
Il bat et retourne le mélange sur la plaque chaude durant quelques secondes avec un long bâton. Et rapidement, il l’envoie voler dans votre bol d’un petit coup de bâton, en répandant rarement une goutte. Il n’est peut-être pas prêt pour le musée ; mais pour moi, c’est un véritable artiste.
(Dominick Merle est écrivain de voyage et consultant basé à Montréal) |