Reuters – 20/09/20101
Louer son appartement à la nuit, à la semaine ou au mois : la formule, qui allie forte rentabilité et fiscalité alléchante, a de quoi attirer les investisseurs, mais elle n'est pas du goût de la Mairie de Paris, qui sévit pour empêcher les logements de la capitale d'être dévolus aux seuls touristes.
Un studio de 23m² dans le Marais loué 715 euros la semaine, un deux-pièces de 27m² à Montmartre loué 200 euros la nuit: des milliers d'annonces sur internet proposent des appartements meublés à des prix proches de ceux de l'hôtellerie, loués par des particuliers à destination des touristes, étudiants et professionnels de passage.
D'après la Mairie et la Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM), Paris compte au moins 20.000 locations meublées temporaires, soit d'une durée inférieure au bail d'un an dont bénéficie légalement tout locataire lorsque le logement qu'il occupe constitue sa résidence principale.
"C'est un secteur en pleine croissance. La plupart des concurrents sont apparus ces cinq dernières années", note Myriam La Selve, responsable marketing et communication de Paris Attitude, l'un des principaux sites proposant des locations de court séjour dans la capitale.
Paris Attitude, qui vient de fêter ses dix ans d'existence et dit enregistrer "une croissance à deux chiffres" chaque année, estime à environ 150 le nombre d'agences rivales plus ou moins importantes sur son secteur.
Mais la Mairie s'inquiète de voir le parc locatif de la capitale ainsi détourné à des fins touristiques, un phénomène que la chambre syndicale des hôteliers qualifie de concurrence déloyale.
La Ville dit avoir déjà envoyé à plus de 200 propriétaires un courrier d'avertissement leur indiquant qu'ils ne pouvaient louer leur appartement meublé qu'à une personne l'utilisant comme résidence principale, et que s'ils comptaient le louer à des fins touristiques, ils devaient en demander l'autorisation à la Mairie. Faute de quoi, en vertu du code de la construction et de l'habitation, ils s'exposent à une amende de 25.000 euros.
Christian Nicol, directeur du logement et de l'habitat de la Ville de Paris, explique que ses services découvrent l'existence de ces meublés touristiques par des "signalements" d'habitants se plaignant "du bruit, du va-et-vient, de l'entrée de l'immeuble qui se transforme en hall d'hôtel".
"Souvent les propriétaires sont délinquants sans le savoir", commente-t-il, ajoutant qu'une meilleure information des Parisiens devrait permettre de freiner le phénomène.
"Le système est tellement intéressant financièrement, fiscalement et juridiquement qu'on va finir par être dans une ville où plus personne ne voudra louer un logement dans les conditions habituelles, et on n'aura plus que des touristes ou des gens qui viennent ici une semaine. Mais on n'est pas une cité balnéaire!"
La Mairie vise en particulier ceux qui, d'un simple clic et à prix d'or, louent leur meublé parisien comme un hébergement "quasi-hôtelier", pour de très courtes durées.
L'un d'eux, qui n'a pas souhaité être identifié, en a fait son unique source de revenus. A 26 ans, master en droit des affaires en poche, il loue depuis six mois le deux pièces parisien de sa grand-mère pour 100 euros la nuit, via des sites d'annonces spécialisées.
"Au mois, cela me rapporte 2600-2.700 euros. C'est un peu plus du double qu'en location standard", a-t-il dit à Reuters.
Il a depuis acheté pour 200.000 euros un studio dans le Marais, dont il espère tirer jusqu'à 700 euros par semaine.
Vu la hausse des prix d'achat dans l'immobilier parisien, il juge que la location temporaire est "le seul moyen aujourd'hui d'avoir des rentabilités intéressantes", surtout lorsque, comme lui, le propriétaire prend en main la gestion au lieu de la confier à une agence.
"D'après des simulations, j'arrive quasiment à 8% de rentabilité. C'est colossal", commente-t-il.
Ce propriétaire dit ne pas s'inquiéter outre mesure des menaces de la Mairie de Paris et estime que la meilleure façon de calmer l'engouement des propriétaires pour la location meublée serait d'abord de réformer son régime fiscal, qu'il juge "étrangement avantageux".
Les revenus de la location meublée entrent en effet dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Lorsque les loyers n'excèdent pas 32.100 euros par an, le propriétaire peut bénéficier d'un abattement forfaitaire de 50% pour couvrir ses charges, et n'est ainsi imposé que sur la moitié de ses revenus locatifs. Cet abattement n'est que de 30% pour les locations vides relevant du régime micro-foncier.
Les propriétaires imposés au réel peuvent quant à eux déduire également l'amortissement de leur meublé, ce qui n'est pas possible en location vide.
"Avec la possibilité de déduire les charges, on arrive à ne pas avoir de résultat imposable pendant 7-10 ans, ce qui permet de se constituer un patrimoine", relève Maud Velter, directrice juridique de l'agence Lodgis, et co-auteur d'un guide pratique sur la location saisonnière.
Elle note un "flou juridique" autour de l'avenir de la location meublée temporaire à Paris, en attendant une clarification du législateur ou de la jurisprudence.
"Il y a un peu une épée de Damoclès sur notre activité", regrette Maud Velter. "Ce que la Mairie cherche à combattre, c'est la location de très courte durée, mais elle risque de condamner toutes les locations inférieures à un an."
L'Association des professionnels de la location meublée (APLM) estime que les meublés temporaires répondent pourtant à un besoin de flexibilité et de mobilité et ne représentent que 3% du parc locatif privé à Paris, hors logements vacants.
"La location meublée n'est qu'un tout petit contributeur de la difficulté de se loger à Paris", commente Jean-Marc Agnès, président de l'APLM, ajoutant qu'une restriction du droit de propriété d'une ville à l'autre pourrait poser un problème de constitutionnalité.
"Ce que nous défendons, c'est la possibilité pour les petits propriétaires de pouvoir continuer à disposer de leur bien comme ils l'entendent, en le louant pour les durées qu'ils souhaitent." |