Dominick Merle
J'hésite d'habitude àretourner àun lieu où j'ai eu de nombreux souvenirs àtravers les années, de peur que les vents du changement ne les détruisent. Souvent, cela s'avère vrai.
Ce fut ce àquoi j'ai pensé lorsque j'ai revisité la province de Kelantan, dix-sept ans après. Aura-t-elle la même attraction? Aurais-je la possibilité de retrouver les mêmes paysages que j'ai dans mon album de photos que j'ai laissé chez moi?
Il était étonnant et agréable pour moi de ressentir la même quiétude que je ressentais quand je mettais ma chemise préférée. Il y a encore un certain nombre de lieux dans le monde qu'on peut revisiter après quelques années et où l'on peut commencer par où on avait fini. La province de Kelantan est l'un de ces lieux.
Oh! Ses habitants ont augmenté quelque peu dans sa périphérie et des routes nouvelles y apparaissent, depuis ma dernière visite qui remonte à1987. Mais, que le temps nous ménage tous.
Je présume que Kelantan a la même superficie que New Hampshire. Elle s'étend lentement et avec quelque hésitation vers le 21ème siècle, tout en gardant des liens avec ses racines remontant à8000 ou 3000 ans av. J-C, lorsque cette région établissait des relations de coopération commerciale avec la Chine.
Kelantan qui se trouve àune portée de la frontière thaïlandaise et de la mer de Chine au sud est habituellement désignée comme le creuset de la civilisation malaisienne. Du fait de sa situation géographique au nord-est du pays, elle était isolée àtravers les années.
En conséquence, le mode de vie de Kelantan n'a pas disparu suite aux impacts de l'extérieur et de la colonisation. La culture malaisienne a été ainsi préservée avec tout son patrimoine traditionnel et luxueux. Si la Malaisie demeure une énigme pour les Nord-américains, Kelantan elle-même est une énigme pour un grand nombre de Malaisiens. Souvent, elle paraît comme un pays àpart.
On y trouve des hommes jouant avec des disques et des cerfs-volants en papier qui ne sont pas de simple passe-temps. Il y a aussi les compétitions de chants d'oiseaux, prises très au sérieux, dont les prix àgagner peuvent atteindre celui d'une nouvelle Mercedes. On trouve également de très petits villages côtiers, où chacun exerce son propre métier: construction de barques, restauration, tissage …etc.
Personne ne sait exactement ni comment, ni quant ces métiers traditionnels ont commencé àêtre exercés. Mais, ils n'ont pas connu le moindre mer de Chine. A l'exception de quelques fast-foods de franchise, il y a une certaine convivialité dans ce lieu. Le même parking de voiture du centre ville se transforme changement depuis ma première visite et il n'y a aucun signe qu'ils vont disparaître pour ne rester que dans les livres d'histoire.
J'ai élu domicile dans la capitale Kota Bahr, située àquelques kilomètres du sud de la toujours, le soir, en un marché des plats musulmans dont les odeurs sont très fortes et où le riz est servi sous de multiples formes et couleurs, y compris le bleu.
Le marché central se trouve au sommet du boulevard et est ouvert de l'aube àla tombée de la nuit. On y vend les légumes et les fruits de tous genres et de différentes formes. On peut passer toute sa journée dans cette zone. Dès l'approche de la fin d'activité du marché central, les vendeurs de nourriture musulmane affluent et envahissent le marché.
Nous avions vu quelques démonstrations de lancée de disques et de cerfs-volants en papier le jour suivant au centre culturel de Kota Bahr. Ceux qui s'adonnent aux jets de disques ont été les premiers àjouer.
Les disques sont fabriqués de bois et de zinc, pesant de 15 à20 pounds. Ils sont enroulés de cordes rattachées àl'avant-bras de chaque joueur. Ces derniers ressemblent aux lanceurs de poids dans leur concentration et leurs mouvements. Tel le mouvement du fouet, ils lancent le disque vers une plate-forme surélevée de 4 pieds. Cela demande une grande force et pour faire tourner au maximum le disque ils doivent reculer en arrière au moment où le disque tombe.
Tout disque qui tombe de la plate-forme est éliminé. Le disque gagnant, encore tournant, est mis sur une planche en bois, puis dans un disque en cuivre qui ressemble au flanc du cheval. Le disque continue àtourner et les arbitres comptent le temps. Cela peut durer deux heures.
Làaussi, personne ne sait comment de telles manifestations ont commencé; mais on s'accorde àdire qu'elles durent depuis 500 ans, en guise de fête de la fin de la moisson.
Les joueurs de cerf-volant sont làdans le parc et s'apprêtent àla compétition annuelle qui se tient chaque printemps avec la participation de joueurs d'Asie et d'Europe. Chaque cerf-volant a une longueur de 6 pieds dépassant la taille des joueurs. Leurs formes diffèrent: chats, paons, oiseaux…etc. Fabriqués àpartir du bois de bambou, de papier coloré et de colle issue du riz, les cerfs-volants peuvent voler jusqu'àune hauteur de 500 pieds ou plus. Leur confection est faite avec une grande précision, puisque le moindre défaut peut entraver leur équilibre et leur vol.
Quant aux compétitions de chant d'oiseaux, elles se déroulent hebdomadairement dans toutes les régions de Kelantan, souvent le vendredi. Nous avons assisté àl'une d'elles, dans une campagne limitrophe de la frontière thaïlandaise. Les oiseaux qui semblent être empaillés sont gardés dans des cages ornées de belles étoffes aux couleurs rouge et mauve.
Ces cages sont suspendues par des cordes sur des poutres d'une hauteur de 15 pieds. Les oiseaux commencent leur chant dans une grande cacophonie, et les arbitres vont d'une poutre àl'autre enregistrant leurs observations sur la force de la voix, le rythme et la mélodie. Les gagnants se présentent d'une région àune autre, et une fois par an ils participent àune finale pour gagner le grand prix de la Malaisie. Les oiseaux qui participent àcette finale se vendent aux prix des voitures de luxe.
Notre dernière escale a été àKampung Laut, un petit village de 3000 habitants, dont le nom signifie littéralement "le village qui est proche de la mer". C'est un grand four. Je l'ai visité il y a 17 ans, et j'ai l'impression de retourner àun passé lointain, tellement il n'a pas changé.
Depuis des centaines d'années, les femmes de ce village font le cake et d'autres gâteaux dans de grands ustensiles en cuivre dont la largeur est de 40 pousses et la profondeur est de 2 pieds. Maintenant, je suis entrain de regarder peut être les descendants de ces hommes et ces femmes qui faisaient la même chose lors de ma première visite. Chaque jour ils font venir par barques au marché le cake fabriqué. Rien n'indique que ce mode de vie va disparaître. Dans l'ensemble de cette région il y a de nombreux petits villages qui concentrent leur activité sur une marchandise déterminée.
Ainsi, le patrimoine, la culture et le mode de vie de Kelantan sont encore vivants. Cela est réjouissant, dans un monde où une chose apparaît et est vite changée, pour la simple envie du changement. Kelantan fera son changement doucement.
( Dominick Merle est écrivain et consultant en tourisme résidant au Canada) |